Déclaration du comité des maladies infectieuses de la SOGC : Dolutégravir et grossesse

Dans les données issues d’une analyse intermédiaire imprévue d’une étude observationnelle réalisée au Botswana publiées le 18 mai 2018, on rapporte une augmentation potentielle du risque d’anomalie du tube neural (ATN) chez les femmes qui reçoivent un traitement préconceptionnel au dolutégravir (DTG) (0,9 % c. 0,1 % dans le groupe de traitement antirétroviral [ARV] sans DTG à la conception).  

Dans de nouvelles données issues de la même étude, publiées et présentées au congrès de la Société internationale sur le SIDA en juillet 2019, on rapporte que la prévalence des ATN chez les femmes qui recevaient du DTG à la conception était de 0,3 % par rapport à 0,1 % chez celles qui recevaient un traitement ARV sans DTG.

Le tube neural se ferme très tôt dans le développement embryonnaire, soit à 28 jours postconception (6 semaines après la dernière menstruation chez les femmes ayant des cycles réguliers de 28 jours). Cette réalité fait ressortir l’importance du counseling préconceptionnel et du recours à une méthode de contraception hautement fiable chez les femmes atteintes du VIH, car la meilleure occasion de réduire les risques se présente avant la grossesse.

D’après ces données, voici les recommandations révisées et mises à jour :

  1. Chez les femmes qui prennent tout antirétroviral, y compris le DTG, deviennent enceintes et en sont à plus de 6 ou 7 semaines de grossesse, il convient de poursuivre le même traitement antirétroviral s’il s’avère efficace et bien toléré, mais il y a lieu d’évaluer le traitement globalement dans le contexte de la grossesse. Il est recommandé aux femmes exposées au DTG à la conception de subir un dépistage prénatal des ATN. Il n’est pas justifié de recommander l’interruption de grossesse seulement en raison d’une exposition préconceptionnelle au DTG.
  2. Chez les femmes enceintes de moins de 6 ou 7 semaines qui reçoivent du dolutégravir et souhaitent changer de traitement, il y a lieu de les conseiller sur le faible risque absolu de l’exposition au DTG. Il y a lieu de peser ce risque par rapport aux risques qu’impose un changement de traitement étant donné l’incertitude relative à la tolérance et à l’adhésion au nouveau traitement. La décision doit être prise en fonction du choix de la femme de changer de traitement ou de continuer le traitement au DTG.
  3. Il y a lieu de discuter des méthodes de contraception et des intentions de grossesse des femmes non enceintes en âge de procréer qui prennent du DTG lors de chaque consultation relative au VIH*. Il convient de recommander l’utilisation d’une méthode de contraception hautement fiable (p. ex. le dispositif intra-utérin) et d’effectuer un test de grossesse avant ou au moment de commencer un traitement à base de DTG. 
  4. Il y a lieu de conseiller les femmes en âge de procréer qui n’utilisent pas une méthode de contraception hautement fiable sur les risques liés au traitement composé de DTG si elles devenaient enceintes et sur l’innocuité des autres traitements qui ne comportent pas les mêmes risques d’ATN. La décision de changer de traitement doit reposer sur un choix éclairé. Si la grossesse est une possibilité, il a lieu d’envisager d’adopter un traitement sans DTG.
  5. Compte tenu du manque d’information sur l’innocuité de toute nouvelle préparation antirétrovirale, notamment les traitements composés d’elvitégravir, de bictégravir, de TAF ou de cobicistat, la prudence est de mise dans la prescription de ces traitements aux femmes non enceintes en âge de procréer; il convient de les éviter pendant le premier trimestre de la grossesse lorsque possible.
* Pour obtenir des renseignements supplémentaires, consulter la directive clinique de la SOGC no 354 : « Lignes directrices canadiennes en matière de planification de la grossesse en présence du VIH », Journal d’obstétrique et gynécologie du Canada, vol. 40, no 1, 2018, p. 115-137.

 

Information sur le dolutégravir pendant la grossesse à ce jour :

Des données ont été publiées le 18 mai 2018 d’après une analyse intermédiaire d’une étude de surveillance des naissances financée par les NIH, soit l’étude Tsepamo, menée au Botswana. À ce moment, les données ont révélé que, chez les 11 558 Botswanaises atteintes du VIH qui sont devenues enceintes, 0,9 % des bébés (4 sur 426) nés d’une mère devenue enceinte sous traitement au DTG présentaient une ATN, par comparaison à 0,1 % des bébés (14 sur 11 173) nés d’une mère prenant d’autres combinaisons d’antirétroviraux (1, 2). 

Depuis, d’autres données de l’étude Tsepamo ont été publiées et présentées au congrès de la Société internationale sur le SIDA le 22 juillet 2019. Ces nouvelles données révèlent que la prévalence des ATN liées à la prise de DTG pendant le premier trimestre était de 0,3 % (5 sur 1 683) par rapport à 0,1 % (15 sur 14 792) pour les grossesses non exposées au DTG (10). 

Même si cette diminution observée du risque d’anomalie du tube neural a eu pour effet de réduire le niveau d’inquiétude du « signal de sécurité » relatif à l’utilisation du DTG, le risque demeure plus élevé que ceux des groupes de grossesses exposées à d’autres traitements antirétroviraux. De plus, les données de 2014 à 2019 récemment rapportées, provenant de 22 emplacements au Botswana non compris dans l’étude Tsepamo, ont indiqué un taux d’ATN de 0,65 % pour les grossesses exposées au DTG par rapport à 0,08 % pour celles qui ne l’avaient pas été (11). Les données de surveillance canadiennes sur les anomalies congénitales pour les grossesses exposées au DTG dès la conception ou au premier trimestre n’ont montré aucune différence significative du taux d’anomalies congénitales entre les femmes qui reçoivent un traitement antirétroviral en comparaison à celles non exposées au DTG (3,9 % c. 3,0 %). Parmi les 80 nouveau-nés exposés au DTG pendant le premier trimestre, 4 ont présenté des anomalies congénitales, mais on n’a observé aucune ATN (12). (Au Canada, il est recommandé de prendre des suppléments d’acide folique avant et durant la grossesse, car il s’est avéré abaisser le taux d’ATN.) 

Une revue systématique de l’innocuité du DTG pendant la grossesse (4) rapporte des données sur les anomalies congénitales chez 442 grossesses exposées au DTG. Cette revue comprend les données de 6 études principales, y compris une étude observationnelle en cours au Botswana comparant 845 femmes traitées au DTG à 4 593 femmes traitées à l’éfavirenz; 142 grossesses exposées au DTG (dont 88 au premier trimestre) selon le registre de grossesses avec antirétroviraux; 81 grossesses dans les réseaux EPPICC, PANNA, NEAT-ID; les essais cliniques de phase III pour le DTG; la surveillance post-commercialisation pour le DTG; et 15 femmes participant à l’étude IMPAACT P1026s. Des 442 grossesses exposées au DTG, 16 se sont soldées par des anomalies congénitales (3,6 %), ce qui s’inscrit dans le taux mondial d’anomalies congénitales de 3 à 5 %. Parmi les anomalies congénitales, la plus fréquente était la polydactylie, courante chez les enfants d’origine africaine (1 %), et on a observé 2 cas de kystes rénaux. On n’a enregistré aucun cas d’ATN. Dans une analyse de cohorte rétrospective en Suède (5), 36 femmes enceintes vues à l’hôpital universitaire Karolinska ont reçu du DTG; 14 avant la grossesse et 22 ont commencé le traitement pendant la grossesse. On a observé 4 avortements spontanés précoces, une interruption tardive et aucune malformation congénitale. 

En somme, les données rapportées à ce jour semblent réaffirmer la légère augmentation du risque d’ATN, dans le contexte botswanais, pour les cas de grossesse exposée au DTG, quoique le risque absolu demeure très faible. Par conséquent, l’OMS recommande les traitements à base de DTG comme traitement de première intention chez tous les adultes d’après son analyse du rapport risques-avantages pour des recommandations thérapeutiques fondées sur la population d’Afrique subsaharienne. (Communiqué de presse de l’OMS sur le DTG pendant la grossesse [10] :
https://www.who.int/fr/news-room/detail/22-07-2019-who-recommends-dolutegravir-as-preferred-hiv-treatment-option-in-all-populations)

Contexte général sur les anomalies congénitales et les anomalies du tube neural :

Il est important de remarquer que dans la population en général, 4 à 5 % des nourrissons présentent des anomalies congénitales importantes. Ainsi, toute augmentation du risque lié à la prescription de DTG doit être prise en considération dans ce contexte. Étant donné l’arrivée de technologies modernes, telles que le dépistage prénatal, les tests génétiques prénataux et les examens échographiques détaillés de visualisation d’anomalies fœtales, la majorité de ces anomalies sont détectables. Les ATN surviennent selon différents taux dans différentes populations dans différents pays. La fréquence des ATN au Canada est d’environ 0,04 %. Il s’agit d’une diminution du précédent taux de 0,076 % (6) qui résulte de la supplémentation en acide folique dans les produits céréaliers, laquelle s’est amorcée en 1998. 

Au Canada, même si les aliments sont supplémentés en acide folique, il est recommandé d’ajouter un supplément d’acide folique pour les 12 semaines avant la conception et au moins durant les 12 premières semaines de la grossesse. Pour les grossesses à faible risque (c’est-à-dire les femmes sans antécédents personnels et familiaux), il suffit de supplémenter au moyen de multivitamines contenant entre 0,4 et 0,6 mg d’acide folique ou de vitamines prénatales qui en contiennent 1 mg (7).

Dans l’ensemble, les études révèlent un taux d’ATN variant de 5,2 à 75,4 par 10 000 naissances vivantes dans les pays africains (8). Il convient de remarquer que le taux le plus élevé est de moins de 0,1 %, soit le taux observé chez les femmes atteintes du VIH qui suivent un traitement sans DTG dans le rapport mentionné précédemment issu de l’étude de surveillance botswanaise. Les ATN apparaissent très tôt dans le développement embryonnaire, étant donné que le tube neural se ferme à 28 jours après la conception (6 semaines après la dernière menstruation chez les femmes ayant des cycles réguliers de 28 jours) (14, 15).

En résumé, ces renseignements sur le DTG sont moins inquiétants que les données initialement publiées en mai 2018, mais ils soulignent l’importance des éléments à prendre en compte lorsqu’il s’agit de prescrire un traitement ARV aux femmes au potentiel reproductif ou en période de préconception. Dans les pays où la prescription personnalisée est offerte, l’option la plus sage est de choisir les traitements qui ont une longue feuille de route en matière d’innocuité pendant la grossesse. Il faut de nombreuses années de surveillance post-commercialisation pour savoir s’il y a des préoccupations à avoir relativement aux complications ayant un faible taux d’événements, y compris la tératogénicité. Peu d’études précommercialisation comprennent des femmes et très peu comprennent des femmes enceintes. Il faut donc présumer que les nouveaux médicaments sur le marché comportent des risques inconnus pendant la grossesse. Ainsi, il est nécessaire d’exercer une grande prudence dans la prescription de médicaments aux femmes en âge de procréer (13). 

Références :
  1. Déclaration de l’OMS sur le dolutégravir, Genève, 18 mai 2018.
  2. Déclaration de l’Agence européenne des médicaments, New study suggests risk of birth defects in babies born to women on HIV medicine dolutegravir, 18 mai 2018.
  3. ViiV Soins de santé ULC, Monographie de produit, Tivicay®, 3 février 2017.
  4. HILL, A., CLAYDEN, P., THORNE, C., CHRISTIE, R., ZASH, R., « Safety and pharmacokinetics of dolutegravir in HIV-positive pregnant women: a systematic review », Journal of Virus Eradication, vol. 4, 2018, p. 66-71.
  5. BORNHEDE, R., SOERIA-ATMADJA, S., WESTLING, K., PETTERSSON, K., NAVER, L., « Dolutegravir in pregnancy-effects on HIV-positive women », European Journal of Clinical Microbiology & Infectious Diseases, vol. 37, 2018, p. 495-500.
  6. Agence de la santé publique du Canada, Indicateurs de la santé périnatale 2013 : un rapport du Système canadien de surveillance périnatale, Ottawa, 2013. 
  7. WILSON, D. et coll., « Supplémentation préconceptionnelle en acide folique / multivitamines pour la prévention primaire et secondaire des anomalies du tube neural et d’autres anomalies congénitales sensibles à l’acide folique », Journal d’obstétrique et gynécologie du Canada, vol. 37, no 6, 2015, p. 550-552.
  8. ZAGANJOR, I., SEKKARIE, A., TSANG, B. L., WILLIAMS, J., RAZZAGHI, H., MULINARE, J., SNIEZEK, J. E., CANNON, M. J., ROSENTHAL, J., « Describing the prevalence of neural tube defects worldwide: A systematic literature review », PloS ONE, vol. 137, 2016, p. 1-31.
  9. Santé Canada, lettre, 7 juin 2018, RA-66998.
  10. https://www.who.int/fr/news-room/detail/22-07-2019-who-recommends-dolutegravir-as-preferred-hiv-treatment-option-in-all-populations
  11. ZASH, R., HOLMES, L., DISEKO, M., JACOBSON, D. L., BRUMMEL, S., MAYONDI, G., ISAACSON, A. et coll., « Neural-Tube Defects and Antiretroviral Treatment Regimens in Botswana », The New England Journal of Medicine, 22 juillet 2019.
  12. MONEY, D., LEE, T., O’BRIEN, C., BROPHY, J., BITNUN, A., KAKKAR, F., BOUCOIRAN, I., ALIMENTI, A., VAUDRY, W., SINGER, J., SAUVE, L. J., Groupe canadien de recherche pédiatrique et périnatale sur le VIH/SIDA, « Congenital anomalies following antenatal exposure to dolutegravir: a Canadian surveillance study », BJOG, 2019, https://doi.org/10.1111/1471-0528.15838. 
  13. MOFENSON, L. M., POZNIAK, A. L., WAMBUI, J., RAIZES, E., CIARANELLO, A., CLAYDEN, P., et coll., « Optimizing responses to drug safety signals in pregnancy: the example of dolutegravir and neural tube defects », Journal of the International AIDS Society, vol. 22, no 7, 2019, e25352.
  14. DETRAIT, E. R., GEORGE, T. M., ETCHEVERS, H. C., GILBERT, J. R., VEKEMANS, M., SPEER, M. C., « Human neural tube defects: developmental biology, epidemiology, and genetics », Neurotoxicology and Teratology, vol. 27, no 3, 2005, p. 515-524, doi:10.1016/j.ntt.2004.12.007.
  15. SADLER, T., « Embryology of neural tube development », American Journal of Medical Genetics, Part C, 2005, p. 2-8, doi : 10.1002/ajmg.c.30049.